Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair

« Les chrétiens se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour le vêtement, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle… Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants mais ils n’abandonnent pas leurs enfants. Ils partagent tous la même table, mais non la même couche. Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre mais sont citoyens du ciel ».

…………«Dieu dit: Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance» (Genèse 1)—« Le verbe de Dieu est devenu homme, afin que tu apprennes de l’homme comment l’homme peut devenir Dieu » Clément d’Alexandrie (Protreptique, I,8,4)— « Le verbe de Dieu qui à cause de son surabondant amour, s’est fait cela même que nous sommes afin de faire de nous cela même qu’Il est » Irénée (Ad haer. ,V,Paef.P.G.,7 COL. 1120)— « Dieu s’est fait porteur de la chair, pour que l’homme puisse devenir porteur de l’Esprit », Athanase ( De inc. Verbi,8)— « Dieu le Verbe nous a donné les prémices de l’Esprit-Saint, afin que nous puissions devenir des dieux à l’image du Fils de Dieu » Athanase, (P.G., 26,997 A)— « Dieu a créé le monde pour y devenir homme et pour que l’homme devienne Dieu, par grâce, et participe ainsi aux conditions de l’existence divine », Maxime le confesseur ( De incarnatione)— « Il est devenu homme à cause de toi, en sorte que toi, par lui, tu deviennes Dieu » Grégoire le théologien (Discours,XL)
Affichage des articles dont le libellé est corps. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est corps. Afficher tous les articles

mercredi 31 octobre 2018

Les passions ne sont pas mauvaises en elles-mêmes…


La conception que les maîtres spirituels hésychastes se font de la voie qui doit conduire leurs disciples jusqu’aux plus hauts degrés de la contemplation est tributaire de notions psychologiques empruntées à la philosophie hellénistique, où se mêlaient les influences du platonisme et du stoïcisme. Évagre le Pontique fut le premier artisan de cette conceptualisation qui se retrouve, avec quelques variantes, tout au long de la tradition philocalique.

Pour lui, comme pour l’ensemble des Pères, l’homme est composé de deux éléments, le corps et l’âme. La tradition chrétienne a en effet écarté, lors des grandes controverses christologiques des IVème et Vème siècles, la théorie tripartite qui considérait que la nature humaine était constituée de trois éléments distincts, le corps, l’âme et l’esprit. Cette conception ne pouvait en effet s’accorder avec la doctrine traditionnelle de l’Incarnation du Christ. Lorsque certains, parmi les Pères, parlent de l’esprit comme d’un troisième élément de l’homme, ils n’entendent pas par ce mot un élément créé, mais l’énergie incréée du Saint-Esprit, qui vient vivifier l’âme créée. Plus souvent, les saints Pères entendent par esprit (pneuma) la partie supérieure de l’âme, le noûs, sans en faire un troisième élément constitutif.

Selon le schéma évagrien, l’âme humaine comporte trois parties. Les deux premières constituent la partie sensible et passible de l’âme (pathetikon); ce sont l'« appétit concupiscible» (epithymetikon ou epithymia), qui éprouve les deux « passions» fondamentales du désir (d’un bien absent) et du plaisir (quand un bien sensible est présent), et la « partie irascible» (thymikon), dont les passions fondamentales sont la crainte, la colère et la tristesse.

Ainsi comprises, les passions ne sont pas mauvaises en elles-mêmes. 
Évagre considère même que la « vraie nature » du concupiscible est de désirer le plaisir spirituel et la béatitude que procure la « gnose », l’union divine, et que celle de l’irascible est de lutter contre tout ce qui s’oppose à ce bien spirituel, particulièrement contre les démons. C’est le mauvais usage de ces facultés qui est la source des passions mauvaises, lesquelles sont, pour le concupiscible, la gourmandise, la luxure, l’amour de l’argent, la vaine gloire, l’orgueil; pour l’irascible, la mauvaise tristesse, la rancune, l’envie, la jalousie, la colère, la cruauté, l’acédie.

La troisième partie de l’âme ou partie raisonnable (Iogistikon) ne fait qu’un avec l’intellect (noûs). Celui-ci est la faculté de la connaissance intellectuelle; sans la grâce du Saint-Esprit, cette connaissance est discursive, conceptuelle; c’est ce qu’Évagre appelle la « science simple »; sous l’action du Saint-Esprit, elle devient expérience savoureuse de la compénétration de l’homme par la lumière incréée.
Si le concupiscible et l’irascible sont en proie aux passions mauvaises, ils enténèbrent l’intellect, qui devient sujet à l’ignorance et à l’erreur (selon Évagre, les vices de l’irascible, ceux qui s’opposent directement à la charité envers autrui, aveuglent l’intellect plus encore que ceux du concupiscible); s’ils en sont purifiés, l’intellect fait rejaillir sur eux sa lumière, et ils retrouvent leur vraie nature.

Père Placide Deseille
(Mémoire éternelle!)

dimanche 10 mars 2013

Les plaisirs selon St Jean Damascène


"Des plaisirs, les uns concernent la psyché, d'autre le corporel. Des premiers, il y a ceux qui intéressent seulement l'âme en elle-même, comme ce qui concerne la science et la contemplation. Les plaisirs du corps sont dits tels, mais en réalité ils ne sont que par la conjonction âme et corps, comme pour la nourriture, la sexualité..., et l'on ne trouve pas de plaisir qui soit uniquement corporel. 

Des plaisirs toujours, les uns sont véritables, les autres mensongers ; les uns sont de la pensée pure, comme la connaissance et la contemplation, les autres corporels avec la sensation. Les plaisirs du corps sont les uns naturels et nécessaires, sans lesquels la vie est impossible, comme de manger ; ils satisfont les besoins, comme les vêtements indispensables. D'autres sont naturels, mais non nécessaires comme les rapports sexuels qui pourtant viennent d'une loi naturelle tendant à la conservation du genre humain. On peut vivre dans la virginité, sans eux. Il y a des plaisirs qui ne sont ni naturels, ni nécessaires, ceux qui vont au-delà du besoin comme l'ivresse, la débauche, la gloutonnerie. Ils ne tendent ni à la conservation de la vie, ni à la propagation de l'espèce. Ils sont bien au contraire nuisibles. Celui qui vit en Dieu a droit aux plaisirs que donne le nécessaire à l'existence ; il ne doit admettre qu'en deuxième lieu les plaisirs corporels non-nécessaires et seulement en une occasion, une mesure et un mode convenables ; tous les autres sont à rejeter toujours.

Il faut prendre des plaisirs sains, non mêlés de tristesse, ni suivis de regrets ou générateurs de dommages, ne dépassant pas les bornes de la mesure, n'empêchant pas ce qui est plus important, et enfin ne devenant pas pour nous une sujétion."   St Jean Damascène
(Exposé De La Foi Orthodoxe Livre II, Chap. XIII - Traduction, introduction et notes du Dr E. Ponsoye)

lundi 10 janvier 2011

Quand une activité est-elle appropriée pour une vie spirituelle ?


Saint Théophane le Reclus a traité cette question dans une correspondance qu’il a eue avec une jeune femme qui voulait vivre une vie spirituelle, mais qui se sentait gênée par la précipitation et la distraction de la vie. Elle voyait le monde comme un endroit où «tout le monde se précipite en tout sens comme dans un accès de colère, à la poursuite de quelque chose que personne ne parvient jamais à attraper.» Voilà ce qu’elle relate : «Je ne pouvais pas voir quoi que ce soit qui puisse provenir de l'âme. Il y a des caresses vides, une disposition à faire des choses pour l'autre, et aussi une admiration mutuelle. Tout est superficiel ... Sous l'apparence se cache un tout autre esprit .... quelle comédie. ... Ils se lient, se contraignent et se tyrannisent les uns les autres ; personne n'a sa propre volonté ou une quelconque liberté ».

Saint Théophane a confirmé de telles observations sur la nature de cette vie et lui a répondu en citant saint Macaire le Grand.
"Les enfants de cet âge sont devenus tels le blé versé sur le tamis de cette terre, et puis dispersés parmi les rêves inconstants de ce monde, au milieu d’agitations sans fin liées aux soucis terrestres, aux désirs et au labyrinthe des concepts matériels. Satan secoue les âmes, et avec un tamis, c’est à dire les soucis du monde, il disperse l’entière race humaine pécheresse."
Saint Macaire utilise l’image agricole d'un tamis, où le grain est jeté afin de nous montrer comment nos soucis terrestres, nos rêves et nos désirs font la même chose pour nous, ils nous lancent au hasard alentour. Nous sommes projetés par nos désirs physiques et nos pensées dispersées, tout comme les grains de blé sont ballottés dans un tamis. Nous nous trouvons constamment en mouvement, toujours impliqué dans une tourmente incertaine. Tout cet affairement dont nous faisons l'expérience est une quête sans fin pour satisfaire les désirs terrestres qui ne peuvent jamais être pleinement satisfaits. Sous-jacent à tout cela est notre orgueil. 

Saint Théophane dit également :
"Peu importe comment on dissimule ses désirs, derrière eux se trouve l'égoïsme, qui veut vous entortiller pour ses besoins, ou vous utiliser comme moyen. L'objectif est une fourberie ... tout le monde s'enferme dans sa propre coquille, incapable de produire la moindre chaleur. "
Telle est la nature de la vie sur terre. Elle ne cesse de nous lance des défis, en nous entraînant dans le prochain drame de la vie. Nous nous sentons souvent comme une graine solitaire, sans vrais amis ou relations pour nous consoler. Parfois on trouve un confort terrestre, mais bientôt il se transforme en une déception. Si ce n'est pas dans nos relations, nous la trouvons dans notre bien-être physique avec la maladie ou un accident. Qu'est-ce que ce que tout cela, s'écrie-t-on ! Que devons-nous faire ?

Saint Théophane dit encore :
« il vous est, bien sûr, impossible de fuir tout le monde mais refusez autant que possible d'entrer dans ce cercle de la vie mondaine. Quand il vous tire contre votre volonté, agissez comme si vous n'étiez pas là, regardez, mais ne prêtez pas attention, écoutez mais restez sourd .... Extérieurement, comportez comme tout le monde, soyez simple et sincère, mais protégez-vous des sympathies et des attractions. »

Nous pouvons évaluer nos activités en reconnaissant que nous sommes constitués de plusieurs aspects et que tous ceux-ci doivent être en mouvement en même temps. Nous avons tous les besoins corporels qui doivent être satisfaits ; il y a aussi les actions de l'âme avec son intelligence qui analyse en permanence, notre volonté qui veut choisir librement, et notre cœur qui cherche l'harmonie, et nous avons l'esprit avec son désir de ce qui est bon et beau.

Tout cela doit être en synergie pour vivre ensemble comme prévu, Saint Théophane dit à ce propos :
"Ce n'est que lorsque l'ensemble de nos énergies sont en mouvement et que tous nos besoins sont satisfaits qu'un homme vit. Mais quand seule une petite partie de ses énergies est en mouvement, et que seul un petit nombre de ses besoins sont satisfaits, cette vie n'est pas la vie. Tout fonctionne ensemble comme un tout. "

Tous les aspects de votre être doivent être pris en considération dans les activités mondaines. Examinez vos activités et évaluez comment le corps, l’âme et l’esprit y sont engagés. Est-ce que l'activité assure que vos besoins physiques sont pris en considération de manière appropriée, sans excès, mais seulement à un degré nécessaire à votre bien-être. Est-ce votre que votre intelligence s’est concentrée, est demeurée claire, contrôlant vos pensées pour qu’elles soient raisonnées et cherchent à obtenir le plus haut niveau de compréhension. Est-ce que votre volonté est engagée dans des autolimitations vis-à-vis des désirs excessifs, et votre cœur se trouve-t-il dans un sentiment de calme et d'harmonie ? Enfin, est-ce que votre esprit est mobilisé et vigilant par rapport à tout de que vous faites de sorte que dans l'activité vous demeurez orientés vers ce qui est bon aux yeux de Dieu ? Si quelque aspect de votre être est en porte à faux, alors vous pouvez dire de cette activité qu’elle n'est pas bonne pour vous spirituellement.

(Citations de La vie spirituelle, Lettre 4, 39-42, Saint Théophane le Reclus)