"Le péché ne relève pas d'abord de l'éthique, encore moins de l'ordre juridique ou de la sphère d'existence sociale, mais de l'ontologie c'est-à-dire de l'être même de l'homme de sa réalité profonde, de la vérité et de l'authenticité de son être d'homme. Les catégories majeures ne sont pas le licite et l'illicite, ce qui est permis et ce qui est interdit, mais la vérité de l'existence humaine, la réalité existentielle de l'homme, de l'identité de son être d'homme. L'éthique orthodoxe comprend le péché comme le comportement dans lequel, alors qu'il est créé pour être divinisé, pour exister selon le mode d'existence du Dieu tri-personnel, l'homme expérimente l'échec des épousailles divines.
A la différence de l'Occident, l'Orient chrétien n'a pas connu l'hypertrophie du sentiment de culpabilité, la maladie du scrupule, la hantise de la damnation, la peur de soi et de Dieu. Ce qui est en question, c'est de savoir si l'homme réussit ou au contraire renie et rate sa vérité et son authenticité existentielles. Un Orthodoxe pense assez spontanément que le contraire du péché n'est pas la vertu mais la foi et l'amour. On peut être très vertueux mais en ne possédant qu'une vertu sans amour. Il y a une manière d'être pur qui rend l'homme dur. Le péché est une altération de l'existence humaine, de l'être de l'homme en tant que convié à la déification. C'est une tragique aventure en laquelle est engagée l'intégrité de la vie de l'homme véritablement humain. Ce qui est constitutif de l'être même de Dieu, ce n'est pas la justice mais l'amour.
On peut se demander si la déchristianisation de l'Occident ne doit pas être recherchée, non point uniquement mais au moins pour une part, dans un certain christianisme qui en était arrivé à dramatiser le péché et à hypertrophier le sentiment de culpabilité, la mauvaise conscience, au point d'accorder au pessimisme et à l'angoisse bien plus de place qu'au pardon."
Père André Borrély
(in Supplément au n° 141 de la revue "Orthodoxes à Marseille")